Jean DUBUFFET : le « Cours des choses », rétrospective hommage à l’inventeur de l’ART BRUT

Le train de pendules

 (par Olivier THIBAUD)

Jean Dubuffet, né le 31 juillet 1901 au Havre et mort le 12 mai 1985 à Paris 6ème, est un peintre, sculpteur et plasticien français, le premier théoricien d'un style d'art auquel il a donné le nom d'« art brut », des productions de marginaux ou de malades mentaux : peintures, sculptures, calligraphies, dont il reconnaît s'être lui-même largement inspiré.

C’est au 5 de la rue de Saintonge Paris IIIème, que se tient l’exposition rétrospective de Jean Dubuffet (1901-1985).

Elle constitue un hommage à son marchand Jean-François Jaeger décédé le 26 décembre 2021.

Véronique Jaeger, directrice de la Galerie

Son titre Le Cours des choses fait autant référence à l’œuvre Le Cours des choses-Mire Boléro G174 de 8m de long que Jean-François Jaeger avait présentée à la galerie en 1985, acquise la même année par le Centre Pompidou-MNAM, qu’elle fait écho à la symbolique du titre en rapport avec le récent décès de son marchand qui l’a promu avec ferveur dans le temps. 

Conçue comme une « biographie au pas de course » de l’oeuvre de Jean-Dubuffet exposée depuis 1964 à la galerie, l’exposition présente  peintures, sculptures et œuvres sur papier des différents cycles de l’artiste exposés à la galerie, des années 50 à 1985 : le long cycle de l’Hourloupe (1962-1974) que la galerie a promu exclusivement avec Ernst Beyeler durant plus de 10 ans, les Psycho-sites, les Mires Boléro et Kowloon, le dernier cycle des Non-lieux, sans oublier les Matériologies des années 50 acquises plus récemment par Véronique Jaeger, petite fille de Jean-François Jaeger et directrice de la Galerie,  et exposées à la galerie dernièrement, témoins de la période précédant l’arrivée de l’artiste à la galerie en 1964.

L'Hourloupe (1962-1974) : déconstruction-reconstruction du monde

Cycle de 12 ans, le plus long et monumental de l’artiste, ayant initié la relation de la galerie avec l’artiste, L’Hourloupe ouvre l’exposition: il débute par de petits dessins graphiques instinctifs, exécutés initialement au stylo à bille bleu et rouge, par l’artiste alors qu’il est au téléphone comme l’illustre un grand nombre de dessins exposés tels La Machine à écrire (1964), au marker et stylo à bille qui écrit le début de la relation avec la galerie ; suivie des Brouettes, Personnages, Arbres, Ciseaux, Escaliers, Logologies, Monuments qui explorent l’infinie variété du monde à travers un trait aventureux laissant surgir des formes humaines, personnages ou objets familiers par les techniques les plus variées de markers, feutres, vinyles, collages, découpes de toutes sortes qui excitent l’artiste par leur faculté de visionnement quasi magique. Poursuivant cette aventure sur papier, l’Hourloupe prend le chemin des peintures, des sculptures qui deviendront  monumentales jusqu’aux architectures les plus inimaginables telle la Closerie Falbala, à proximité de Paris, abritant le Cabinet Logologique et les Costumes du spectacle Coucou Bazar.

Clin d'oeil à l'Autoportrait V par Ambre Delcroix, journaliste d'art

Autoportrait V 

Unique cadeau de Jean Dubuffet à Jean-François Jaeger, l’œuvre Autoportrait V du 1er décembre 1966, est la réponse, simple et directe, de l’artiste au jeune galeriste qui lui avait dit :

 "Je ne peux tout de même pas me payer votre tête…"

Jean Dubuffet n’a réalisé que 6 autoportraits !

Les premiers contacts de Jean Dubuffet avec la Galerie Jeanne Bucher datent de 1931, il y a 90 ans.


Donnée, H51

Visitant l’exposition Marcoussis rue du Cherche-Midi, le jeune Dubuffet, tout juste trentenaire, alors à la recherche d’une galerie, signe le livre d’or d’une phrase prémonitoire :

"Nous finirons bien par nous rencontrer quelque part un jour."

Malgré le fait qu’elle lui reconnaisse quelque talent, Jeanne Bucher n’exposera jamais l’artiste havrais.

Ce n’est que 30 ans plus tard, alors que son marchand Daniel Cordier met un terme à son activité de galeriste, que la phrase de Dubuffet prendra toute sa signification.


Ambre Delcroix, journaliste d'art, contemple le personnage pour "Washington Parade"

Jean Planque, mandaté par Ernst Beyeler pour trouver, à travers le monde, des chefs-d’œuvre contribuant à enrichir sa galerie bâloise, avait alors convaincu Jean Dubuffet, dont la renommée était déjà établie, que la galerie Jeanne Bucher pouvait, en association avec la galerie suisse, pleinement assurer la représentation de son œuvre à Paris.


Site avec 3 personnages

S’inscrivant dans la continuité de l’exposition controversée de L’Hourloupe au Palazzo Grassi à Venise pendant l’été 1964, la première présentation de l’artiste à la galerie, célébrée sans vernissage, se tient le 8 décembre 1964.

Jean-François Jaeger, Directeur de la galerie à peine déménagée rue de Seine, se remémore sa première entrevue avec Jean Dubuffet qu’il avait soigneusement préparée afin de se montrer digne de la confiance de l’artiste.

Au bout de quelques phrases, Jean Dubuffet l’interrompit en ces termes :

"Ce n’est pas la peine d’essayer de m’expliquer ce que j’essaie de faire, je ne sais pas moi-même actuellement ce que cela signifie."

 Une collaboration de plus de 40 ans

Ainsi débute une longue et passionnante collaboration, forte de près d’une vingtaine d’expositions monographiques à la galerie et d’innombrables collaborations avec des institutions internationales. Initiée par Jean-François Jaeger qui a œuvré plus de 40 ans à la promotion de l’œuvre de Dubuffet, il est rejoint de 2003 à 2010 par Frédéric Jaeger, actuel Président des Amis de la Fondation Dubuffet, et par Véronique Jaeger depuis 2004 à sa Direction générale et actuelle Présidente de la galerie, rejointe par son frère Emmanuel Jaeger, Directeur de la galerie depuis 2015.

« Je ne possède pas, j’appartiens, » était le leitmotiv exprimé par Jean-François Jaeger tout au long de l’exercice de son métier de galeriste, vécu telle une profession de foi. Avec une dévotion et une intégrité rares, il a su perpétuer, durant plus de 66 années, l’esprit de rigueur insufflé par Jeanne Bucher tout en suivant le fil artistique de créateurs hors du commun et en œuvrant passionnément à leur promotion. La liste est longue tant son action est prolifique au sein de la galerie et dans les musées internationaux pour soutenir les artistes piliers promus et pour lesquels son expertise a été reconnue : Maria Helena Vieira da Silva et Arpad Szenes, Nicolas de Staël, Hans Reichel, Bissière, Mark Tobey, Jean Dubuffet, Asger Jorn…


• Le Cours des choses – du 10 septembre au 19 novembre 2022 au 5 rue de Saintonge, Paris IIIème









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