Au temps des exhibitions coloniales : les zoos humains

 

(par Olivier THIBAUD)

A voir jusqu’au 6 mars 2022 au Royal Museum for Central Africa de Tervuren (Belgique), l’exposition « Zoo humain - Au temps des exhibitions coloniales » !

Cette manifestation met en lumière l’histoire de personnes exhibées comme des « objets d’exposition vivants ».

L’exposition présente des images et des documents exceptionnels dont certains n'avaient jamais été montrés.

Elle a été pour la première fois organisée en 2012 à Paris au Musée du Quai Branly.

Cette exposition fait écho au « zoo humain » présenté en 1897 à l’AfricaMuseum de Tervuren, près de Bruxelles .

L’origine de l’AfricaMuseum remonte à l’exposition universelle de Bruxelles en 1897.

Sous l’impulsion du roi Léopold II, une « Section coloniale » est organisée à Tervuren, destinée à convaincre la population belge et les investisseurs de son projet colonial au Congo.

Pas moins de 267 Congolais sont emmenés de force en Belgique et exhibés au public, tels des animaux dans un zoo.

Sept d’entre eux y laissent leur vie.

Ce funeste spectacle est loin d’être un cas isolé !

Il fait partie d’une véritable industrie qui a contribué au racisme que l’on observe encore aujourd’hui dans les sociétés occidentales.

Une propagande pour le projet colonial

L’exposition internationale de Bruxelles de 1897 se déroule du 10 mai au 8 novembre 1897.

À cette occasion, le roi Léopold II fait construire à Tervuren le « Palais des Colonies » (aujourd’hui Palais de l’Afrique) sur l’emplacement de l’ancien pavillon du prince d’Orange, qu’un incendie avait détruit en 1879.

Aménagées en style art-nouveau, les salles d’exposition du Palais des Colonies accueillaient des animaux naturalisés, des échantillons géologiques, des produits économiques congolais et européens, des denrées, des objets ethnographiques et artistiques congolais et des objets d’art réalisés en Belgique.

Léopold II voyait dans cette section coloniale un outil de propagande pour son projet colonial, destiné à attirer des investisseurs et à convaincre la population belge.


Des « villages » congolais

Dans le parc de Tervuren, trois « villages » clôturés sont implantés près des étangs : deux « villages bangala » et un « village mayombe ».

Au total, on fait venir de force 267 Congolais – hommes, femmes et enfants – pour occuper ces villages.

Le voyage est long et pénible.

Deux Congolais meurent durant la traversée.

Parmi les Congolais expédiés en Belgique, on compte 90 soldats de la Force publique (force armée composée « d’indigènes », exerçant les fonctions de police et de l’armée de l’État indépendant du Congo).

Ils exécutent des concerts et des défilés pour le public.

Un succès énorme… déjà critiqué !

Au terme de l’exposition universelle, la section coloniale de Tervuren a attiré à elle seule plus d’un million de visiteurs, selon les chiffres rendus publics.

Si l’exposition universelle s’est déroulée du 10 mai au 8 novembre, les pics de fréquentation ont lieu entre le 27 juin et le 30 août, ce qui correspond aux mois d’été, mais aussi aux dates d’arrivée et de départ des Congolais.

Le nombre de visiteurs s’élevait parfois à 40 000 par jour.

Néanmoins, dès l’arrivée des Congolais, certains critiquent l’événement et le comportement des visiteurs.

Par exemple, Le National écrit le 10 juillet 1897 :

« Ils sont là, ‘nos futurs frères noirs’ […], étroitement gardés par leurs propres frères à eux – ‘nos vaillantes troupes d’Afrique’ – […] annexionnistes trop zélés.

Ils sont là, bénéficiant d’un décor merveilleux, donnant l’impression, dans leur vie en plein, – réglée comme pour un spectacle forain – d’un Congo de fantaisie avec des simili-villages créés pour faire pendant au Palais de la Réclame Noire [allusion au Palais des Colonies], en face. »

L’auteur conclut son article en ces termes :

« Il y a même quelque-chose de passablement dégradant pour l’humanité, à voir ces malheureux ainsi parqués, livrés aux réflexions parfois navrantes et dégradantes aussi, des blancs qui accourent au nouveau spectacle. »

Une exhibition meurtrière

L’été 1897 est froid et humide et étant donné les conditions déplorables dans lesquelles sont maintenus les Congolais, beaucoup tombent malades.

Sept d’entre eux meurent pendant l’exposition.

Leurs noms, sans doute incomplets, sont notés :

Sambo, Mpemba, Ngemba, Ekia, Nzau, Kitukwa et Mibange.

Suite à leur décès, il est refusé que leurs corps soient enterrés dans le cimetière local.

Ils sont alors inhumés en terre non consacrée, réservée aux adultères et aux suicidés.


Tervuren n’est pas un cas isolé…

Le zoo humain de Tervuren s’inscrit dans une culture occidentale de l’exotisme.

Ces exhibitions de « l’Autre » commencent en Europe dès le milieu du 19ème siècle.

Foires, cirques, cabarets, expositions universelles ou coloniales, villages itinérants, … la mode de l’exotisme s’affirme dans divers espaces en Belgique, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Espagne, en Autriche, mais aussi aux États-Unis.

… l’Exposition universelle de 1958

Un « village congolais » est également construit pour l’Exposition Universelle de 1958 à Bruxelles.

La surface d’exposition réservée au Congo est alors énorme.

Il s’agit pour la Belgique de promouvoir ses réalisations et de justifier sa présence au Congo, alors même que résonnent les échos de l’indépendance.

Plus de 600 Congolais arrivent en Belgique et, la journée, 120 d’entre eux sont exhibés dans les « Jardins tropicaux ».

Mais la présence de ce village et le comportement raciste et humiliant des visiteurs choquent et provoquent polémiques et plaintes, notamment de la part d’étudiants et d’intellectuels congolais vivant en Belgique !

Une grande partie des « artisans » décide de quitter le village, qui ferme bien avant la fin de l’exposition…

L’Exposition de 1958 fera, elle-aussi, une victime congolaise.

Juste Bonaventure Langa meurt durant l’Expo 58, alors qu’il n’avait que 8 mois.

La cause de son décès est inconnue.

Il est enterré dans le cimetière de Tervuren.

Une époque révolue ?

Au total, cette véritable industrie de l’exotisme aura touché près de 1,5 milliard de visiteurs entre 1810 et 1940, exhibant plus de 30 000 personnes.

La culture de masse qu’ont représentées ces exhibitions a sans doute contribué au racisme que l’on observe encore aujourd’hui dans les sociétés occidentales.

Malheureusement, ces pratiques extrêmement dégradantes et racistes existent encore aujourd'hui…


A lire :

« Dans le ventre du Congo »

par Blaise Ndala (1)

Editions du Seuil

384 pages

Paru 07/01/2021

Lorsque s’ouvre l’Exposition universelle de Bruxelles le 17 avril 1958, Robert Dumont, sous-commissaire du plus grand événement international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fini par rendre les armes : il y aura bel et bien un « village congolais » parmi les quatre pavillons consacrés aux colonies.

Le Palais royal a coupé court aux atermoiements du supérieur direct de Dumont, son ami le baron Guido Martens de Neuberg, Commissaire général d’Expo 58.

Dumont ignore que, parmi les onze recrues congolaises mobilisées au pied de l’Atomium pour se donner en spectacle devant les visiteurs venus des quatre coins du monde, figure la jeune Tshala, fille de Kena Kwete III, l’intraitable roi des Bakuba.

Le périple de cette princesse nous est alors dévoilé, entre son Kasaï natal et Bruxelles, en passant par Léopoldville où elle a côtoyé Patrice Lumumba et Wendo Kolosoy, le père de la rumba congolaise, jusqu’à son exhibition forcée à l’Expo 58, où l’on perd sa trace.

Été 2004

Fraîchement débarquée en Belgique, une nièce de la princesse disparue croise la route d’un homme hanté par le fantôme du père.

Il s’agit de Francis Dumont, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles.

Une succession d’événements fortuits finit par dévoiler à l’un comme à l’autre le secret emporté dans sa tombe par l’ancien Sous-commissaire d’Expo 58.

D’un siècle l’autre, la petite histoire embrasse la grande pour poser la question de l’équation coloniale :

le passé peut-il passer ?

Ce roman fait écho au dernier « zoo humain » qui a été exhibé en Europe en 1958, c’est à dire hier seulement !

Le livre a été distingué du Prix de la Presse Panafricaine – MOKANDA 2021 .

Blaise Ndala est né en 1972 en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Avocat de profession, il réside à Ottawa au Canada.


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