Baudouin Mouanda : entretien

 


Baudouin Mouanda, photographe Brazzaville (Congo)


Baudouin Mouanda :

« Photographier c’est être le romancier de l’esprit. »         


Baudouin Mouanda, série "Congolaise Dream"


Ambre Delcroix, présidente de l’association MOKANDA :

Peux-tu te présenter rapidement aux lecteurs ?


Baudouin Mouanda - Je  suis Baudouin Mouanda, photographe congolais. 

Je vis et je travaille à Brazzaville.     


AD -       Comment et quand as-tu commencé la photo ?


BM - Comme pour de nombreux enfants de mon âge, ce n’était pas une époque joyeuse.

En 1993 le Congo était en pleine guerre civile. 

Je n’allais pas l’école et je ne voyais plus mes amis.

Mon père – qui était professeur de physique-chimie - avait un appareil photo, un modèle Zénith 11 de marque russe, qu’il sortait de sa cachette les jours de fêtes ou lorsqu’il aidait ses élèves à apprendre le jeu de lumière ou le rôle des lentilles dans un appareil.

Moi qui n’avais pas leur âge, j’observais timidement depuis la porte les cours que dispensait mon père à domicile.

J’ai ainsi appris que l’on pouvait brûler des feuilles de papier avec une loupe en plein soleil.

C’était mon premier contact avec la photo !

Mon père, ayant remarqué mon intérêt, m’a fait une proposition :

si je réussissais mon examen d’entrée au collège, j’aurais un cadeau !

Je savais que ce serait l’appareil tant convoité !

Alors j’ai travaillé très dur pour obtenir mon certificat, après deux ans sans aller à l’école.

Et je l’ai eu !

Ses conseils m’ont ensuite guidé :

les diaphragmes, les ouvertures petites ou grandes, les lumières, etc.  


AD - Quel appareil utilises-tu actuellement ?


BM - J’utilise un appareil photo de marque Canon !

Mais, comme je le dis souvent, ce n’est pas la marque qui fait du photographe un bon artiste.

Comme certains qui se disent photographe…

La technique, ils la connaissent déjà, mais cela ne suffit  pas !

La photographie, c’est d’abord des idées :

au lieu de se contenter de ce que l’on a déjà vu, il faut aller chercher au plus profond pour apporter du « waouh »…

Ceux qui réussissent leur plan, c’est n’est pas dû simplement à leur seule intelligence !

Ce qu’il faut c’est plutôt être technicien de son intelligence, car l’intelligence seule ne suffit pas pour atteindre son objectif !          

AD - Comment définirais-tu ton travail ?    


BM - Mon travail s’oriente plus dans la démarche documentaire.

Mais je laisse a ceux qui le  regardent le soin de définir ce que j’ai à leur dire.

D’ailleurs j’ai une formation en photojournalisme du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) à Paris et de l’Ecole supérieure de photographie des Arts Le 75, à Bruxelles (ESA le 75) en 2007.

Ces deux cursus m’ont permis d’acquérir des regards différents.      


AD - Combien de temps passes-tu par mois à shooter ?


BM - C’est mon métier !

Je suis comme une personne qui se lève tout les jours pour aller travailler.

A la différence qu’avec la photo il y a des projets qui demandent du temps et des sujets que l’on shoote au quotidien.

Etablir un temps à passer serait difficile à définir. Lorsqu’on est photographe on a toujours avec soi son arme – c’est à dire l’appareil photo - donc on peut shooter à tout moment que l’on désire pour avoir des repères de sujets que l’on pourra approfondir par la suite .           


AD - Quelle est ta meilleure photo ?


BM - Je n’ai pas de meilleure photo.

Pour moi, chacune d’entre elles à une grande importance :

à vrai dire j’aime tous mes projets !

Parler de l’une de mes « images » c’est comme si je n’accordais pas d’importance aux projets qui l’ont précédée.

Mes images restent toutes pour moi des monuments parce qu’avant de passer au sujet suivant elles ont fait parler d’elles.

Et cela s’explique par des nombreuses récompenses de prix obtenus pour tous ces projets !

Par exemple « Les séquelles de la guerre », « Le fantôme de la Corniche », « Le rêve d’aller et retour », « La débrouille », « Sur le trottoir du Savoir », « Ciel de saison »… 

Tous ces thèmes ont une grande importance pour moi !


AD - Quels sont les aspects de la photo que tu apprécies le plus ?


BM - Je suis très engagé sur les faits de société !

Pour moi la photographie n’a pas changé depuis ses origines, sauf dans ses aspects techniques… ce qui n’est pas ma préoccupation majeure.

La photographie est une opération immédiate des sens et de l’esprit.

C’est le monde traduit en terme visuels :

à la fois une quête et une interrogation incessantes.

C’est dans un même instant, la reconnaissance d’un fait en une fraction de seconde et l’organisation rigoureuse des formes perçus visuellement qui expriment et signifient les faits !         


AD - Comment choisis-tu tes thèmes, tes sujets et tes lieux de shooting ?     


BM - Mes thèmes sont inspirés par les faits de société !

Ensuite je m’arrange pour que chacun de mes sujets interpelle celui qui le regarde. Les lieux de shooting dépendent de l’endroit où je me trouve.


AD - Si tu devais citer un photographe référence, qui choisirais-tu ? 


BM - Aujourd’hui ils sont vraiment nombreux, mais le choix du photographe français Henri Cartier-Bresson serait ma référence !

Déjà, il me rappelle l’époque ou je passais mes journées après les cours au collège au Centre culturel français à lire ses publications.

Nous retournons à l’époque d’avant l’avènement du numérique :

c’était l’époque de l’argentique avec les films de 12, 24 ou 36 pauses.

Et là, chaque prise de vue au moment du déclenchement était réfléchie !


AD - Quelle importance donnes-tu à la postproduction ? Fais-tu beaucoup de retouches sur tes photos ?


BM - Je fais peu de retouches et ça dépend du sujet. Aujourd’hui avec les nouvelles technologies il est de règle de faire de petites retouches, comme par exemple rectifier la luminosité…

Pour ma part, je fais en sorte à ce que mes images n’aient pas à être recadrées, sinon ce ne sont plus mes images !


AD - Quels conseils donnerais-tu à un débutant ?


BM - C’est d’être sûr du choix de son métier… de beaucoup regarder les travaux des autres auteurs !

D’être ouvert à d’autres domaines artistiques comme par exemple la peinture, la littérature…

Comme je le dis souvent, photographier c’est être le romancier de l’esprit.         


AD - Quels sont tes objectifs futurs et tes projets photo ?

Un domaine dans lequel tu souhaites progresser ?    


BM - Toutes les activités culturelles auxquelles je suis invité en France ont été décalées, comme le Festival Planches Contact à Deauville où j’ai été convié pour une résidence artistique.

En attendant, j’en profite pour travailler à un nouveau projet :

lancer dans l’année la première rencontre  internationale de photographie du Bassin du Congo, et qui pourra réunir les deux capitales les plus proches du monde !     


AD - Tu viens de te voir décerner le Prix Panafricain de la Presse 2021 dans la catégorie photo, qu’est-ce que cela représente pour toi ?


BM - C’est très important !

Avoir un prix permet d’avoir un rayonnement international pour le pays :

c’est ce qui se passe !

Et cela réveille les consciences, permet d’ouvrir un centre de photographie.

C’est comme au foot, une bonne passe quoi…

Donc à la fin on se retrouve avec un but !   


AD - Tu fais construire un centre culturel au Congo, peux-tu nous en dire plus ?          


BM - Il y a trois ans, j’ai décidé de lancer le projet ClassPro_culture à Brazzaville, un espace dédié à la valorisation des arts visuels.

Il permettra aux élèves de découvrir le pays, ses richesses, sa diversité culturelle, à travers des expositions, une bibliothèque, une mini salle polyvalente pour le théâtre et le cinéma.

Le chantier était assez avancé, mais il est aujourd’hui au point mort, à cause des effets de la crise sanitaire.

Je suis ouvert à toute proposition d’une personne de bonne volonté qui voudrait nous aider à soutenir et accompagner l’aboutissement de ce projet, pour le bien du Congo. 


Propos recueillis par Ambre Delcroix pour MOKANDA et Francophonie Actualités  


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